Elle a bataillé trois ans pour devenir la mère adoptive de deux jeunes migrants. Yvette, 73 ans, n'est pas une militante mais une instinctive. Quand elle croise la route de Sidy et Cheikhou, elle n'hésite pas. "J'étais sûre de moi" dit celle qui a affronté la justice. Et les insultes. Témoignage.

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"Venez, entrez, même si vous me prenez de court et que c'est un peu le bazar ici". L'oeil bleu rieur, les cheveux ramassés en chignon, Yvette* nous ouvre la porte de son salon où un chat Maine Coon se prélasse sur un divan, au soleil. Sur la table, six gros classeurs de couleur verte, rouge et orange que cette Finistérienne de 73 ans désigne d'un mouvement de tête. "Voilà les dossiers qu'il a fallu monter pour que je puisse adopter Sidy et Cheykhou ! Ça en fait de la paperasse, dit-elle. Je me suis battue toute seule pour qu'ils deviennent mes fils et moi leur mère".


"J'ai suivi mon instinct"


L'histoire de cette famille est singulière : Sidy est Malien, Cheykhou est Gambien. Ils sont arrivés dans le Finistère en 2016. À l'époque, ils ont 17 et 16 ans. "Ils ont décidé de venir en France pour se bâtir un avenir meilleur, relate Yvette. Pour pouvoir aller à l'école". Les deux adolescents se rencontrent à leur arrivée et deviennent "frères de galère", ainsi qu'ils le racontent. Ils sont pris en charge par le Service d'accompagnement des mineurs isolés (SAMI) à Concarneau. 

Dans le même temps, Yvette est contactée par une association socio-culturelle pour donner des cours d'anglais à ces jeunes migrants. "J'ai accepté plus par devoir que par gentillesse, confie-t-elle. Je n'étais pas trop partante. Je me suis dit : 'je vais le faire mais je sais très bien qu'au bout de quinze minutes de cours, ce sera la fin du chapitre'. Je n'avais aucune illusion".
Quand Sidy et Cheykhou croisent son chemin, "ces deux grands dadais qui me disaient 'tu' assorti d'un 'madame' ", elle sait déjà que le chapitre n'est que le premier d'une longue histoire. Au fil des rencontres, elle finit par les inviter à déjeuner chez elle. Puis s'enchaînent les week-ends. Jusqu'à ce jour de 2017 où elle franchit le pas. "Je n'ai pas d'enfant, je suis veuve, pourquoi je ne les adopterais pas, explique-t-elle. J'ai suivi mon instinct".


Je les ai adoptés non pas parce qu'ils sont migrants mais pour ce qu'ils sont eux. Je ne l'ai pas fait pour qu'ils obtiennent des papiers. Je l'ai fait par amour maternel".

Yvette


Insultes et menaces


Elle leur annonce sa décision lors d'un repas. "Ils ont eu un sourire jusqu'aux oreilles. Et on a tout mis en route". C'était compter sans les mutliples obstacles. Yvette se heurte à l'incompréhension de la justice quand elle présente sa demande d'adoption simple pour Sidy. Elle n'oublie pas la moue de désapprobation du procureur ni celle du juge lors de l'audience au tribunal de Quimper. "Ils m'ont clairement dit qu'ils étaient opposés à cette adoption". Qu'à cela ne tienne, elle saisit la Cour d'appel de Rennes, adresse des courriers au président de la République, au garde des Sceaux... et même au pape.
Issue d'une famille conservatrice et croyante, Yvette a toujours baigné dans l'idée qu'il fallait aider son prochain. Alors, le regard bienveillant et compréhensif qu'un juge rennais pose sur le dossier lui redonne de l'espoir. Sidy devient son fils adoptif en juin 2020.
 


Peu de temps après, même combat. Pour Cheykhou, cette fois. Les deux procédures, aussi longues et difficiles furent-elles, n'ont jamais entamé le moral d'Yvette. Pas même les insultes et menaces dont elle est la cible sur les réseaux sociaux. "C'est la raison pour laquelle je ne parle plus à visage découvert, indique-t-elle. J'en ai entendu de toutes sortes. On m'a demandé si on partageait la même chambre tous les trois. Comment on peut dire de telles horreurs ? Mes fils ont chacun leur chambre évidemment. C'est dingue que je sois obligée de me justifier sans arrêt face à la bêtise des gens".


Je ne sais pas si j'aurais tenu le coup sans cet amour filial tellement j'en ai bavé. On s'est donné de la force les uns les autres.

Yvette


"Je suis fière de ce qu'ils sont"


Cette Finistérienne envisageait de vivre une retraite tranquille avec son chat. "Ceux qui pensent qu'adopter un migrant, c'est simple, ils se trompent. Ce n'est pas aussi simple que cela. Nous venons de deux cultures différentes, nous avons des religions différentes. Mais ces garçons-là, ils savent tout faire : cuisiner, repasser, s'occuper d'eux, coudre. J'en reste baba parfois".

Sidy a deux CAP de cuisinier en poche, après une formation dans un lycée de Pont-l'Abbé. Juste avant le premier confinement, il avait même décroché un stage dans les cuisines de... l'Elysée. "C'est assez ironique, n'est-ce pas ?" sourit Yvette. Depuis la fermeture des restaurants, il ne peut plus travailler mais il ne reste pas sans rien faire. Il a trouvé un petit boulot dans la poissonnerie d'une grande surface. "J'ai hâte de pouvoir retourner en cuisine" note-t-il.

Cheykhou a obtenu son bac professionnel et s'est lancé dans une formation complémentaire autour des énergies renouvelables à Brest. "Ils s'épaulent tous les deux, souligne leur maman. Je suis fière de ce qu'ils sont. Si, un jour, ils décident de repartir, au moins ils auront quelque chose entre les mains. Si j'ai pu aider deux âmes, je suis heureuse"

 

*le prénom a été changé

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